Il y en a qui...
Il y en a qui se demandent ce qu’ils font sur terre,
Il y en a qui sont toujours dans la lune,
Il y en a qui n’ont pas les pieds sur terre, c’est le cas de Shirley Jane et Boris Roumanoff.
Shirley Jane est Américaine, Boris Roumanoff est Russe. Ils sont nés dans l’espace. Leurs ancêtres sont terriens. Ils débarquent chacun de leur côté sur Mars après un long périple dans notre galaxie, la Voie lactée. Leur mission est d’essayer de peupler cette nouvelle planète, la planète rouge !
Ils ont tout à inventer. D’abord un langage commun, fait de gestes et de mots russo-américains. Leur reproduction n’a plus rien à voir avec celle de leurs ancêtres depuis longtemps déjà, à cause de l’apesanteur, entre autres. Tout est scientifique : des pipettes et des récipients. La nourriture, des pilules ; mais ils sont familiarisés avec tout cela depuis toujours.
Chacun dans sa fusée respective a appris par ses parents le mode de vie des Terriens. Ils ne parviennent pas à imaginer comment ceux-ci vivaient.
Leur rencontre sur Mars n’est pas fortuite, avant d’amarsir, ils savaient qu’ils allaient se rencontrer à ce moment-là et quelle était leur mission.
Ils sont nés pour elle ; il a fallu des générations et des générations avant de parvenir au but de cette aventure hors-norme. Ils ont été programmés pour ce jour qui est enfin arrivé…
L’Aventure commence pour eux maintenant ! Jusqu’à ce jour, leur enfance puis leur vie d’adulte ne se sont déroulées que dans leur fusée qui fonçait dans l’espace à plus de 40 000 km/h.
Après un amarsissage assez brutal, Shirley Jane et Boris Roumanoff sortent respectivement chacun de leur espace restreint et vont à la rencontre l’un de l’autre. La température est de moins cent-vingt la nuit et de dix-sept le jour.
Face à face ils se saluent d’un geste de la tête. Ces Adam et Ève d’un nouveau genre vont devoir à présent cohabiter, vivre et travailler ensemble dans le même habitacle, car l’une des fusées va se désagréger, c’est prévu. Leurs parents et leurs grands-parents ont fait la même chose sur d’autres planètes avant eux, mais jusqu’à ce jour, aucun astre n’a voulu accueillir l’être humain. Mars va-t-il leur permettre de s’installer ici pour créer un Nouveau Monde ?
Il va falloir d’abord apprendre à communiquer. La combinaison spatiale assure l’oxygène, évacue le dioxyde de carbone et la vapeur d’eau expirée, mais elle a aussi un système pour faciliter la communication ; néanmoins, la gestuelle sera précieuse.
Ils savent que cela ne va pas être facile, mais ils sont prêts à voler de leurs propres ailes !
...
Cela fait des jours et des jours qu’ils bravent les températures sibériennes, qu’ils partent en prospection sur les hauts plateaux qui mesurent dix kilomètres de hauteur, qu’ils visitent des volcans de 400 kilomètres de diamètre sur 20 kilomètres de hauteur. Shirley Jane et Boris Roumanoff sont même allés en expédition sur la plus haute montagne du système solaire avec la Rover qui fait partie du matériel qu’ils ont fabriqué pour moitié chacun dans leur fusée. L’Olympus Mons a une base de 600 kilomètres de diamètre et mesure 25 kilomètres de haut.
Cela fait des jours et des jours qu’ils foulent le sol rouge et poussiéreux, qu’ils étudient la façon d’apprivoiser Mars pour en faire une terre d’accueil à ces migrants, dont la mission est de procréer pour peupler la planète.
En fin de travail, ils rentrent dans ce qui est leur cocon, la fusée. Là, après avoir avalé leurs capsules de couleur en guise de repas, ils s’imprègnent des archives laissées par leurs prédécesseurs disparus, puis notent à leur tour leurs découvertes. La cerise sur le gâteau est de finir la journée en lisant la vie que menaient les Terriens, écrite par les premiers hommes qui sont partis à la conquête de l’univers… Une histoire relevant du fantastique : des repas bizarres et variés qu’ils n’arrivent pas à imaginer, des lits à l’horizontale, qui les amusent beaucoup, eux qui ne se reposent que sur des lits verticaux. Après, ils s’endorment épuisés.
…
Le moment « X » est enfin arrivé, les pipettes et les récipients aseptisés sont déballés, ils vont procréer ; c’est inscrit dans le Programme.
…
Robert ouvre les yeux. Cette nouvelle séance d’hypnose est terminée. Pour la première fois depuis longtemps, il se sent mieux. Comme si, enfin il avait posé de lourdes valises. Les valises du passé.
Être toujours dans la lune, se demander ce qu’il fait sur terre, ce mal-être lui pesait de plus en plus. Le psychanalyste-hypnotiseur lui annonce ce qu’il a pressenti en revenant à la réalité :
– Je pense que nous pouvons nous arrêter là définitivement. Qu’en pensez-vous ?
– Je le pense aussi, répond Robert qui sourit pour la première fois de sa vie.
– J’ai un trou de mémoire, Robert. Quel est déjà votre nom de famille ? lui demande le spécialiste en remplissant la feuille pour la Sécurité sociale.
– Janemanoff ! répond Robert d’une voix assurée.
Le médecin se lève, tend la main à Robert :
– Au revoir, monsieur Janemanoff, portez-vous bien et bonne route !
Le psychanalyste songeur et incrédule regarde partir ce patient qu’il suit depuis plusieurs années. La démarche de celui-ci est vraiment particulière : il pose à peine les pieds sur le sol ; comme s’il n’avait pas les pieds sur terre !
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