« Code 93 » (2013), « Territoires » (2014) et « Surtensions » (2016), retraçant des enquêtes de Victor Coste, capitaine à la PJ de Seine-Saint-Denis (d’après l’auteur, plus ou moins son double idéalisé), et son petit groupe de coéquipiers, il dénonce des situations heurtant ses convictions professionnelles et humaines.
En 2017, dans « Entre deux mondes », il délaisse les personnages de la précédente trilogie, pour retracer, avec réalisme et impartialité, l’odyssée tragique d’un migrant syrien arrivant dans la jungle de Calais, qui noue une improbable amitié avec un policier français, et prend sous sa protection un enfant africain martyrisé et abusé, au très lourd passé.
En 2019, un nouveau polar « Surface », a pour héroïne une capitaine de police défigurée au cours d’une intervention.
Paru en 2020 « Impact », est, à mon sens, le moins réussi de ses romans. Personnellement, je n’adhère pas à l’apologie du terrorisme écologique qui sous-tend l’intrigue. Pour moi, aucune idéologie, si noble et louable soit-elle, ne saurait justifier le recours à l’assassinat.
Parallèlement, il collabore à l’écriture de scénarios pour la télévision :
2016 : Flic tout simplement, avec Hugues Pagan
2017 : Engrenages, saison 6
2021 : Les Invisibles
2022 : Tout le monde ment
En 2022, il revient au polar avec « Dans les Brumes de Capelans ».
On y retrouve le capitaine de police Victor Coste, héros de la trilogie de ses débuts, qu’on avait laissé, à la fin de « Surtension », violemment éprouvé par la mort d’un membre de son équipe, et fermement décidé à démissionner.
On apprend qu’il y a toutefois renoncé, en acceptant un poste qui lui permet de ne « croiser personne de son ancienne vie », « ne plus être responsable de quiconque, ne plus s’inquiéter pour les autres », « libéré de tout sentimentalisme, dénué d’états d’âme ».
C’est ainsi qu’on le découvre, six ans plus tard, chargé d’un programme « secret défense » de protection des témoins, dans une sorte de forteresse moderne imprenable, totalement isolée et étroitement surveillée, sur une petite île perdue de l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon, battue par les vents et la neige, et périodiquement ennoyée de brumes « considérées comme les plus denses du monde ».
En fait, les témoins assistés confiés à sa garde sont des criminels repentis, par intérêt ou obligation, qu’il est chargé non seulement de protéger, mais aussi de pousser à coopérer au maximum avec la justice, des « balances » généralement amorales et dénuées de scrupules, pour lesquels il n’est pas tenté d’éprouver la moindre empathie.
C’est donc avec réticence qu’il se voit contraint d’accueillir, cette fois, une victime, Anna Bailly, 24 ans, portée disparue après avoir été kidnappée, dix ans plus tôt, par un meurtrier sadique qui l’a miraculeusement épargnée, contrairement à neuf autres adolescentes, enlevées, séquestrées, puis assassinées dans d’horribles conditions.
Au cours d’une opération de police menée par le commandant Russo, qui n’a cessé de traquer le monstre depuis la disparition d’Anna, cette dernière a été retrouvée enfermée dans la cave d’une sordide maison abandonnée ayant abrité le serial killer, lequel, lui, reste malheureusement introuvable.
Les services de Police attendent donc de cette unique survivante qu’elle leur fournisse de précieux renseignements permettant d’identifier et arrêter son geôlier et probable tortionnaire. Toutefois, le psychologue chargé de son suivi refuse de la brusquer en la contraignant à revivre prématurément le traumatisme évident de dix ans de captivité, dans des conditions qu’on devine particulièrement éprouvantes.
« Incapable de distinguer réellement les jours des nuits qui suivirent son sauvetage, Anna Bailly s’était laissé transporter, mutique, d’un examen médical à l’autre, d’un service de police à l’autre, sans opposer la moindre résistance, sans jamais demander la moindre chose, en dormant quand on lui proposait un lit, en signant quand on lui mettait un stylo entre les doigts, en mangeant lorsqu’on lui proposait un repas. » (…)
« Pour une jeune femme de vingt-quatre ans restée dans un sous-sol depuis si longtemps, se retrouver plongée dans les lumières scintillantes des duty free, de leurs publicités aguicheuses, enveloppées par la mélopée incessante des annonces de services et des passagers qui couraient vers leur avion en maltraitant les roulettes de leurs valises pouvait donner l’impression d’être une petite bille dans un flipper géant. »
Coste est donc chargé non seulement de protéger Anna, mais aussi de gagner sa confiance, patiemment et avec ménagement, à la faveur d’une cohabitation justifiée en la présentant comme sa nièce, afin d’obtenir d’elle des révélations sans doute pénibles pour elle, mais qui pourraient s’avérer déterminantes pour les progrès de l’enquête.
Mais est-elle réellement une victime, cette créature étrange et impénétrable, au physique insolite, mais fascinant, dont le charme mystérieux s’exerce aussi bien sur les humains que sur les animaux ? Témoin ce chien féroce, inapprochable, qu’elle parvient à apprivoiser avec une aisance déconcertante.
Par quel miracle, à quel prix, a-t-elle survécu à une captivité de tant d’années, à la merci d’un monstre qui a torturé et assassiné tant d’autres adolescentes ?
Malgré la défiance de Coste, au fil des jours, des liens ambigus et de plus en plus intimes vont se tisser peu à peu entre le policier désabusé et cette énigmatique jeune femme, dont la présence sur l’île va entraîner de tragiques conséquences.
Ainsi, le lecteur est tenu en haleine jusqu’à la fin par de multiples rebondissements, d’un suspens hallucinant et captivant.
Dans ce roman, le personnage principal, Victor Coste, flic d’une profonde humanité (à travers lequel, de toute évidence, l’auteur exprime sa conception personnelle des devoirs d’un policier) affirme une tendance « borderline ». Endurci et révolté par les épreuves passées, il tente de se barder d’indifférence et fuit toute forme d’attachement, mais demeure malgré tout, au fond de lui, un écorché vif. Volontiers rebelle, il ne craint pas de se révolter et défier sa hiérarchie plus ou moins ouvertement, allant parfois jusqu’à « franchir la ligne » et jouer secrètement les justiciers, en marge de lois et de règles qu’il n’hésite pas, le cas échéant, à contourner habilement.
Outre la mystérieuse et fascinante Anna, qui restera une énigme pratiquement jusqu’à la fin, les personnages secondaires, pour la plupart hauts en couleur et attachants, ont eux aussi, une réelle épaisseur psychologique, et jouent, épisodiquement, un rôle de premier plan :
- Tel en particulier, Russo, officier de policier obèse, à qui l’abus d’alcool et de cigarettes a failli coûter la vie à plusieurs reprises. Malgré une grande dissemblance sur le plan physique, c’est un peu un doublon de Coste, quant au caractère bien trempé, à la pugnacité et à la conception personnelle de la justice et du devoir. Perspicace et obstiné, usé et dévoré par une mission qu’il considère comme un véritable sacerdoce, il se montre plus soucieux des victimes que des ordres de sa hiérarchie et de sa carrière, obsédé humainement par les neuf adolescentes qu’il n’a pu sauver, par la nécessité, vitale à ses yeux, de trouver leurs corps afin de les rendre à leurs parents, et surtout, de traquer leur assassin jusqu’à l’extrême limite de ses forces.
- Tels Bisset, un autre policier, en retraite celui-là, et sa petite-fille Esther, dite « Mercredi », avec lesquels Coste, devenu taiseux et aigri, quasiment misanthrope, a cependant fini par se lier d’une amitié peu expansive, mais d’autant plus profonde.
« Mercredi n’affrontait jamais du regard, elle passait par en dessous ou regardait de côté comme on surveille. Elle sourit toutefois, très légèrement, et le flic apprécia cette attention qu’elle n’offrait à personne. »
- Les paysages de l’île et le brouillard qui l’ennoie, précisément aux moments où l’intensité dramatique atteint un paroxysme, sont aussi, en quelque sorte, des personnages à part entière.
« Trois soleils auraient pu se lever ce matin sans qu’ensemble ils fussent capables de traverser la brume qui fonçait sur l’île. (…) Aussi impressionnante que le loup Fenrir de la mythologie nordique, fils du dieu de la désillusion et de la messagère du malheur, elle vint, « gueule béante, la mâchoire inférieure contre la terre, la supérieure contre le ciel », haute de plusieurs centaines de mètres et de la taille exacte de l’archipel, comme si l’on avait, là-haut, façonné ce manteau gris et opaque juste pour lui. »
Doté d’un remarquable sens de la formule et du raccourci, Olivier Norek parvient à captiver son lecteur par la seule magie d’un style percutant et accrocheur.
En quelques détails suggestifs, il parvient à brosser un portrait, camper un décor, décrire une action, une situation, ou créer une atmosphère, dans un langage souvent familier, mais très imagé et évocateur, parfois pimenté d’une touche d’humour, malgré la gravité du sujet.
Episodiquement, il se permet de bousculer les règles, en usant à bon escient d’audaces stylistiques comme la répétition.
« En sursis, les souliers élimés du capitaine Russo vivaient leurs dernières semaines et piétinaient sans égard les quelques fleurs du jardin des Bailly. Le policier avait pourtant des manières et du savoir-vivre, mais le fait était là, il n’avait pas vu ses pieds depuis bien longtemps. Son ventre énorme entamait une bonne partie de son champ de vision, et son cœur, vaillant, pompait comme il le pouvait pour que la machine avance. » (…)
« C’était le genre de maison lugubre à la porte de laquelle les enfants se donnent pour défi de sonner, avant de repartir en courant, le cœur en tambour, sans même attendre de réponse, juste pour se vanter d’en avoir eu le courage. Le genre de maison qu’un agent immobilier récupère à son embauche et passe à son successeur quand sonne la retraite.
Située en banlieue de banlieue, à quelques mètres d’une déprimante zone d’activité commerciale qui l’éclairait par intermittence de ses grands néons fluo, elle était invisible de la rue, posée au bout d’une courette traversée en son milieu par une allée de béton craquelé, mangée par les herbes, bordée d’une voiture agonisante à sa gauche, et d’absolument rien à sa droite. (…)
Garé dix mètres devant, le capitaine, devenu commandant Russo, chef des opérations, perdait patience, compressé dans l’habitacle au risque d’en déformer la carcasse. La poignée intérieure de la portière lui cisaillait une cuisse, le levier de vitesse lui cisaillait l’autre, et ses genoux semblaient vouloir éjecter la boîte à gants par le moteur. »
L’horreur est certes souvent présente, mais parfois seulement sobrement évoquée de façon plus subtile et allusive que complaisante.
« Plus tard, la légiste de l’IML de Paris, écœurée, ferait claquer ses gants en les retirant, et conclurait : « Elle a tout subi », et « tout » permettait de ne pas en faire le détail. »
Au fil des pages, certaines descriptions, grandioses, confinent à la poésie :
« En prélude, ce fut d’abord le vent qui coucha les longues herbes des tourbières et rida l’océan comme s’il frémissait d’avance à l’idée d’être bientôt déchaîné, envolant et emmêlant les cheveux de la jeune fille dont l’excitation grandissait. Pour celui qui sait écouter, ce sont les premières notes de la respiration du suroît qui vous conseille d’aller vous abriter. A la suite de cet avertissement, d’immenses nuages obscurs et menaçants apparurent au fond du ciel, poussés par le souffle de la tempête qui les menait au-devant de la scène, formant un million de petits rouleaux blancs qui parcouraient la surface de l’eau en une armée d’écume resserrant ses rangs. Puis, avec une lenteur inquiétante, se formèrent des masses sombres, puissantes, informes, comme si une nouvelle île venue des profondeurs allait émerger. Ces masses s’élevèrent en s’affinant, devinrent enfin des vagues formidables et démesurées. En grandissant, leur sommet se para de longues crêtes qui s’allongeaient et barraient l’océan, parallèles à l’horizon qui disparaissait sous le temps tourmenté. Toujours plus hautes, les vagues semblaient vouloir se décrocher de l’Atlantique pour rejoindre le ciel, et à leur point culminant, fonçant droit vers la terre, elles venaient, furieuses, exploser dans un tumulte blanc contre les rochers qui ceignaient la plage, donnant de l’océan l’impression qu’il atteignait son point d’ébullition. Et c’est la terre entière qui tremblait de vibrations qui parcoururent, en fin de course, le corps d’Esther, vulnérable et offerte, entourée d’un nuage d’embruns qui couvrait son visage d’une fine pellicule de sel et figeait ses traits. »
Ainsi, dans cet opus, qui a obtenu le prix Babelio, Olivier Norek est, à mon avis, parvenu au sommet de son art. En conclusion, je laisse la parole à quelques critiques chevronnés, qui résument l’impression d’ensemble bien mieux que je ne saurais le faire :
Gérard Collard, La Griffe Noire : « Un chef-d’œuvre ! Ahurissant de talent ! »
Delphine Peras, L’Express : « Un roman sidérant. Totalement bluffant. »
Sophie Berthier, Télérama : « On traverse ses quatre cents pages en apnée. Un épilogue vertigineux. »
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